Proverbe chinois

Si nous avons chacun un objet et nous nous les échangeons, nous avons chacun un objet. Par contre, si nous avons chacun une idée et que nous nous les échangeons, nous avons chacun deux idées.

vendredi 24 juillet 2009

Laisser l'univers s'exprimer

Il n'y a toujours qu'une dimension (ou plutôt 2) ; la surface. La 3e et la 4e, la profondeur et le temps (et les autres?) se résument tout de même dans la surface. Cependant, l'Univers offre l'infini : du microcosme au macrocosme, du possible à l'avéré, du passé à l'éventuel; et ensuite toutes les ramifications des perceptions de la conscience. Ceci peut aisément poser une problématique immobilisante au photographe; que photographier, sous quel angle, que exclure du cadre? Alors est souligné l'immense contrôle dont il dispose pour donner à voir, mais ce contrôle est une lame à double tranchant. En effet, se pourrait-il qu'il ait d'avantage comme conséquence de cacher plutôt que de révéler? Comme toute création est le reflet de l'approche du monde de son créateur, celui qui veut toucher de près à l'authenticité de l'existence peut en venir à douter sérieusement de ses capacités. On en revient alors à cette idée chère au zen et au taoïsme selon laquelle celui qui veut «accéder à ce niveau de conscience supérieur» (pour dire cela ainsi) doit d'abord se débarrasser du carcan de la connaissance traditionnelle, de la logique, de la raison, du catalogage des élément qui constitue son univers sensible. Laisser tomber ceci, car cela empêche l'univers de se manifester à l'individu tel qu'il est (tout ce qu'il est), car l'individu projette sa dite connaissance sur l'objet de cette connaissance. Ce type de connaissance tient plus de l'interprétation que de la réelle compréhension; celle qui dépasse les mots, les catégories, etc. En laissant tomber cette forme de savoir, qui est une forme de contrôle, l'individu se rapproche de l'authenticité, il réintègre sa place dans l'univers (il n'est plus un observateur extérieur), il touche à son harmonie inhérente. Cette idée se rapproche du Wu-Wei qui est la spontanéité versus le contrôle, la justesse versus la confusion morale, l'intuition versus la réflexion; un état de disponibilité naturelle. C'est être partie intégrante du monde et non pas une partie séparée qui, aux-prises avec sa conscience, se sens différent, indépendant, sans l'être réellement, et qui entre en conflit avec tout ce qu'il ne contrôle pas.
Le lien avec la photographie est que cette dernière peut être l'outil parfait pour isoler les éléments du tout, pour fausser une compréhension authentique du monde, pour en obscurcir la nature, pour contrer ce Wu-Wei, etc. Et la photo a trop souvent ce rôle. De mon côté j'essaie de me poser dans l'opposée de ceci. Par une ouverture la plus large possible, un regard non discriminatoire sur le sujet photographique, une élimination des préjugés quant aux résultats et leur pertinence, par l'effort de poser un regard neuf sur les choses, même sur ce que l'on croit connaître. Aussi c'est cette démarche qui motive mes derniers projets Nibelheim, Shémas, Désintégration, mais surtout Wu-Wei - dont cette image est tirée.
Se sont des séries qui se sont réalisées très rapidement, souvent moins de 45 minutes. Je me suis efforcé de laisser une très grande place à l'accident, pour laisser l'image se faire d'elle-même, laisser s'exprimer le sujet avec le moins d'intervention possible de ma part. Intégrer le mouvement au processus photographique; ne pas le brimer. Ne pas cadrer dans le viseur; ne pas faire ce choix; laisser les éléments prendre leur place d'eux-mêmes. Bien sûr; je choisis vers quoi je pointe ma caméra - l'idée est tout de même de créer une image regardable- mais je limite ce contrôle discriminatoire au minimum.
Laisser de la place à l'accident, parce que ce qui resurgit lorsque l'on relâche sa volonté, son contrôle est d'une essence qui est hors d'atteinte de la pensée consciente. Comme le dicton qui dit que l'on trouve lorsqu'on cesse de chercher. Donner plus de chance pour que puisse trouver son chemin jusqu'à nous ce qui normalement reste caché, ce qui normalement n'a pas de voix. Les forces cachées de l'univers, l'harmonie sous-jacente.

vendredi 10 juillet 2009

Décision

On a toujours ce choix; suivre le courant, dire aux gens ce qu'ils veulent entendre, encourager la dynamique en cours ou bien, à l'opposée; se poser, réfléchir, écouter et découvrir notre vision propre, la développer et la proposer en alternative. Et au-delà de la proposer; lui donner une voix véritable, proportionnelle à la conviction que l'on a qu'elle est valable. C'est peut-être parce que c'est un choix difficile à assumer que la plupart des créateurs investissent leurs énergies dans la perpétuation du bien établi plutôt que dans le renouvellement. Celui qui apporte la nouveauté doit dépenser beaucoup d'énergie non seulement dans le développement de son art et dans sa diffusion, mais aussi dans le maintient de sa conviction contre l'insuccès. Je pense à Van Gogh, à Kandinsky, à Rothko, pour ne citer que ceux-là qui, forts de leur vision, ont persévéré malgré le désintéressement et parfois le mépris et même la pauvreté. Ils avaient pourtant énormément à apporter. C'est cet exemple qu'il faut suivre. Apporter la nouveauté et faire en sorte qu'elle soit acceptée pour ouvrir toujours plus d'horizons. Pourquoi ceci? Parce que la nouveauté est le mouvement, la vie, l'évolution.
L'Art n'a pas encore atteint son plein potentiel d'impact positif sur l'avancement de l'humanité et il est important de contribuer à réaliser ce potentiel. Négliger la nécessité de l'évolution c'est accepter la mort ou au mieux, la consanguinité. L'aisance dans la simplicité, la complaisance dans la conformité. L'art a cette capacité de faire évoluer les sens humains, ses perceptions, sa compréhension; et par là même il a le devoir de s'y efforcer, et c'est en présentant de nouveaux défis qu'il peut le faire et non pas en offrant le déjà vu déjà connu. L'individu a cette folle tendance à croire qu'il comprend parfaitement quelque chose qu'il a déjà vu et identifié, catalogué. Alors un contenu important présenté sous des formes connues est voué à être ignorer.
Comme dans Dune, où Paul-Muad'Dib s'engage consciemment dans un chemin qui mène au Jihad, carnage au sein même de la race humaine, malgré la nature terrible de ce but, car c'est ce que l'humanité a besoin pour se renouveler; comme dans cette situation romanesque extrapolée, l'Art visuel actuel a besoin d'un nouveau souffle. Pas que ce qu'il ait à présenter soit inintéressant, seulement il y a trop peu de place à la différence et ceci représente un danger; celui de la dégradation jusqu'à l'atrophie. Je ne sais pas s'il est encore possible de révolution à l'époque actuel; il semble que le nihilisme, la désillusion et l'inertie du Post-modernisme aient dilué cette volonté. Cependant l'Art, comme la vie, a toujours besoin de cassure, de destruction, pour renaître, car il a tendance à la dégénérescence, à la consanguinité, c'est-à-dire à un ralentissement de son mouvement. Ceux qui sont responsable de ce mouvement, les artistes, n'étant pas tous des visionnaires, ne cherchant pas tous l'avancement, ils tendent à immobiliser l'Art et répétant ce qui à déjà été fait. Ainsi, l'artiste doit combattre l'artiste pour rétablir une dynamique (temporaire, jusqu'à ce qu'elle ralentisse elle aussi et qu'il soit temps pour une autre cassure). Bien sûr ces 2 types sont essentiels même si contradictoires, car le mouvement n'est perceptible que grâce à l'immobilité; tout fonctionne par contraste. Ainsi tout ceci n'est pas un jugement de valeur; les deux sont nécessaires.

Diaporama du projet Limites de la rationalité